Ce texte, du Père Barbe, Eudiste paru
dans la revue « Christus » est la reproduction ,d'un document fourni par
le Centre Spirituel de la Sainte Face de Tours, le texte original a été
ronéotypé en février 1978, sur la demande de l'ancien Carmel de Tours,
réactualisé, certains noms, mots , citations bibliques ont été
volontairement changés et rajoutés, pour que ce texte soit plus
accessible
1- Histoire de la dévotion
A Rome, dans la Basilique Saint Pierre,
le Vendredi-Saint, a lieu l'ostension d'une grande relique, recouverte
d'une plaque de métal. On devine un visage dont on ne devine que les
lignes générales : cheveux tombant sur les épaules, barbe courte divisée
en deux pointes. Cette relique a une histoire qui relève de la légende.
Un récit qui date approximativement du septième ou du neuvième siècle,
nous parle d'un portrait du Sauveur qui a guéri le souverain ayant
châtié les Juifs et Pilate, mais ce portrait n'est pas celui du Christ
souffrant, et rien ne dit son origine miraculeuse. Un autre récit, qui
date, lui, du XIIe siècle, concerne plus directement cette relique. Il
s'agit d'une image du Christ souffrant considérée comme étant le voile
de Véronique. Celle-ci était connue depuis le Ve siècle, comme étant la
femme guérie par Jésus d'un flux de sang. Son nom serait passé au voile
et non l'inverse comme d'aucuns le disent. Un autre fait actuel c'est
que la VI e station de notre Chemin de Croix évoque la rencontre de
Jésus avec Véronique et l'impression miraculeuse des traits de Jésus en
récompense du geste de pitié de cette femme. Enfin à Turin, on vénère le
Saint Suaire, et un grand nombre d'images du Visage de Jésus souffrant,
ont répandu à travers le monde, la «photographie » du négatif du Saint
Suaire. Ces faits demandent toute une étude critique. Ici toutefois nous
les prendrons tels qu'ils existent comme les témoins d'une dévotion
chrétienne, ancienne de l'Eglise.
II- Il est certain que cette
dévotion est assez développée
Au Moyen Age, chez les Carmes, elle est
l'une des formes originales de l'exercice de la Présence du Seigneur. La
Sainte Face de ses regards les prières et les occupations de ses moines.
Il y a dans l'église de Mayence et de Francfort-sur-le-Mein des tableaux
avec des textes. Ailleurs cette dévotion, comme celles aux Saintes
Plaies est l'expression de la piété compatissante. On connaît une
hymne : « Salve Sancta Facies » attribuée à Jean XXII, et même un Office
et une Messe qui semblent être de l'époque. Dans l'Adoro Te, on trouve :
«Jesu quem velatum…ut te revelate cernens Facies » ; et on connaît les
pieuses et poignantes méditations de Sainte Angèle de Foligno sur le
Visage souillé du Christ pour l'expiation de ses fautes. Du XIVe au
XVIIe siècle, on trouve les traces d'une diffusion assez grande, des
reproductions du Voile de Véronique dans beaucoup d'églises (il en
subsiste encore ici et là) On peut aussi citer des encouragements
divers, mais on a relativement peu de textes. On connaît une image
miraculeuse à Laon, provenant des Cisterciennes de
Montreuil-en-Thierarche, et l'existence de quelques confréries.
III- Notre époque contemporaine
est témoin à la fois d'une évolution et d'une plus grande diffusion
Le Bienheureux Pie IX, le 30 juillet
1847, érige en Archiconfrérie, l'Association Réparatrice des Blasphèmes
et de la Violation du Dimanche, déjà érigée en Confrérie par Mgr
Parisis, Evêque de Langres, à Saint Martin-de-Lanoue à Saint Dizier. Le
19 septembre 1846, c'est l'apparition de La Salette, où il est question
de la «Face irritée de Jésus » à cause des blasphèmes et de la
profanation du dimanche. Dès 1843, commence le rayonnement de
l'apostolat de Sœur Marie de Saint Pierre : cette humble Carmélite
d'origine rennaise, née dans une famille d'artisans, et d'une culture
littéraire très médiocre, est à l'origine d'un grand mouvement de piété
à l'égard de la Sainte Face. Elle n'a cependant que peu de temps devant
elle. Née en 1816, elle meurt à moins de 32 ans, en 1848, avec à peine
neuf ans de Profession.
Ce qui est assez remarquable, c'est
qu'elle commence par être orientée vers la contemplation de Jésus-Enfant.
Elle connaissait Marguerite du Saint Sacrement, la Carmélite de Beaune
et sa dévotion à l'Enfant-Jésus. Cette contemplation l'amène à pratiquer
la Voie d'Enfance Spirituelle : simplicité, amour gratuit,
innocence… «J'avais une ambition, c'était d'être l'âme du Saint Enfant
Jésus », dit-elle un jour par boutade, et cette boutade se mua en un
programme très sérieux de sainteté : obéissance, humilité, disponibilité
entière…Or après quelques années de vie monastique sans histoires et
dans ce climat d'Enfance Spirituelle, elle reçut des messages, qu'elle
devait transmettre. Dès lors, elle s'attache à l'œuvre de la Réparation
par la vénération du Visage de Notre Seigneur Jésus Christ.
Dans ses messages, le Seigneur explique
qu'Il est prêt à frapper la terre à cause des blasphèmes et des
profanations, désire faire déborder Sa Miséricorde. Il désire
l'établissement d'une Association de fidèles adonnés à l'œuvre de la
Rédemption par la dévotion à la Sainte Face, c'est à dire à la Sainte
Humanité de Jésus, comme aussi à celle du Nom de Dieu. Cette œuvre
serait comme un arc-en-ciel de la Miséricorde Divine et sauvera la
France : « Cherche-Moi des Véroniques, pour essuyer et honorer Ma Divine
Face qui a peu d'adorateurs. »
Les dernières années de l'humble
Carmélite de Tours sont centrées sur la contemplation de l'infinie
Miséricorde, et le rôle de médiation assumé par la Mère de Dieu. Il est
certain toutefois que le courant de piété parti de Tours est nettement
marqué par une note réparatrice. Nous allons maintenant trouver toute
une série de témoignages qui vont montrer la diffusion de ce mouvement
parti de Tours. C'est Théodelinde Dubouché (1809-1863) de Montauban, par
une recherche personnelle, elle arrive à la Foi à l'âge de 14 ans ; elle
accueille les premières grâces mystiques à l'âge de 16 ans, soigne et
convertit ses parents. « Durant les journées tragiques de 1848, elle
groupe dans la chapelle des Carmélites de la Rue Denfert-Rochereau à
Paris et avec le soutien et l'appui de la Mère Supérieure, pour une
quarantaine de prières, des âmes éprises du même idéal de réparation. En
quelques semaines 2000 membres s'agrégèrent à l'Association Réparatrice
dont l'idée avait été lancée par la Sœur Marie de Saint Pierre, la
Carmélite de Tours, et dont Théodelinde Dubouché avait obtenu de Mgr
Affre, l'Archevêque de Paris, l'érection Canonique. La même année dans
la nuit du jeudi dans l'octave du Saint Sacrement, le Seigneur lui
apparut et lui fit comprendre qu'Il voulait bien plus qu'une
association : une congrégation religieuse vouée à l'Adoration
Réparatrice ». Ce fut le point de départ de la Congrégation de
l'Adoration Réparatrice.
Le Saint Homme de Tours, Léon Papin
Dupont (1797-1876), né au Lamentin (Martinique), après ses études en
France, il est Conseiller à la Cour Royale de Port-de-France. Marié en
1827 et veuf en 1833, il vint s'installer à Tours avec sa mère et sa
fille en 1834, ou il est à l'origine du renouveau du pèlerinage à Saint
Martin, de la construction de la Basilique, à l'endroit même ou se
trouve le tombeau, qu'il retrouva. Dès lors il mène une vie orientée
vers la réparation. Ses rencontres avec Sœur Marie de Saint Pierre
concentrent sa dévotion sur l'effigie de la Sainte Face, et il en
devient l'apôtre. Le Mercredi-Saint de 1851, il suspend dans son salon
une reproduction du Voile de Véronique tel qu'on le vénère à Rome et il
eut l'idée d'allumer au-dessous une lampe. Le samedi suivant, une femme,
à laquelle il avait conseillé de prier devant la Sainte Face et d'oindre
ses yeux est guérie.
Les faveurs se multiplient. Des images
lithographiées sont répandues par milliers, et aussi des fioles de
l'huile de la lampe. C'est surtout un véritable mouvement de pèlerinage
qui c'est déclenché et dans ce salon plus de 500 000 pèlerins viendront
prier. Le Saint Homme de Tours jouit d'une notoriété considérable. Sa
correspondance était immense. Il fut en relation avec les grands
spirituels de son temps : Saint Pierre-Julien Eymard, Dom Guéranger, le
Vénérable Père Marie-Augustin du Saint Sacrement (Hermann Cohen), Sainte
Thérèse Couderc de Lalouvesc, Mère Marie de la Providence et c'est ce
qui explique l'usage encore actuel des Religieuses Auxiliatrices du
Purgatoire d'avoir dans leur sacristie une image de la Sainte Face avec
une lampe.
A sa mort sa demeure fut transformée en
Oratoire et devint le centre d'un pèlerinage où se perpétue le culte de
la dévotion réparatrice, il existe encore de nos jours à Tours sous le
nom de Centre Spirituel de la Sainte Face, Rue Bernard Palissy, où l'on
peut y vénérer l'icône de la Sainte Face, là même ou elle fut déposée
par Léon Papin Dupont, dans le salon devenu chapelle, aux pieds de
l'icône, se trouve la sépulture de Léon Papin Dupont, dont la cause de
Béatification est en cours. En 1876, érection de la Confrérie de la
Sainte Face. Elle devient Archiconfrérie en 1885 par un décret « Ex
More » du 1er octobre 1885. Ajoutons tout de suite qu'il y
eut une Messe propre concédée en 1910 et en 1957. Il y eut aussi un
groupement de Prêtres de la Sainte Face propageant la dévotion du Visage
du Christ qui fut réprouvé à Rome en 1892 parce que s'adressant à une
partie du Corps du Christ.
VI- Et voici que nous arrivons à
Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus
En 1885, la Famille Martin est agrégée à
l'Archiconfrérie de Tours. C'est donc d'abord par sa famille que Sainte
Thérèse est initiée très jeune à cette dévotion, que ce soit chez les
Guérin ou chez les Martin, cette agrégation ne fut pas seulement un
geste d'un jour mais une complète et totale orientation spirituelle. En
entrant au Carmel de Lisieux, Thérèse y reçoit le nom en religion de
Sœur Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face, et là, elle y
retrouve la dévotion à la Sainte Face, plus développée encore et
provenant du Carmel de Tours, et là, elle put bien l'approfondir.
Au Carmel, en effet, on vouait une très
grande dévotion à la Sainte Face parce que la Fondatrice du Carmel de
Lisieux, Mère Geneviève, l'avait adoptée ; elle avait même obtenu une
image du Voile de Véronique dans la Chapelle du Carmel. De cette manière
la dévotion à la Sainte Face devint celle de toute la communauté du
Carmel. On fit un accueil très fervent à la lettre circulaire de la mort
de Sœur Marie de Saint Pierre puis plus tard à sa vie. On avait même
adopté au Carmel de Lisieux certaines pratiques de vie enseignées par
Sœur Marie de Saint Pierre. Se reportant à cette époque, Mère Agnès de
Jésus (sœur de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus), qui fut la «petite
mère » de Thérèse, écrit à Tours : « C'est bien vrai que la dévotion à
la Sainte Face m'a été inspirée par votre petite Sœur Marie de Saint
Pierre, c'est d'abord Mère Geneviève qui, d'abord m'y attira en m'en
parlant avec enthousiasme. Mère Geneviève était pourtant une âme bien
simple, qui ne se laissait pas conduire par des imaginations, amis
toujours par l'Esprit de Dieu. »
C'est elle qui à sont tour initié
Thérèse, «la petite fleur transplantée sur la Montagne du Carmel devait
s'épanouir à l'ombre de la Croix, les larmes, le Sang de Jésus devinrent
sa rosée, et son soleil fut la Face Voilée de Pleurs… Jusqu'alors, je
n'avais pas sondé les trésors cachés dans la Sainte Face, ce fut par
vous, ma Mère, que j'apprit à les connaître, de même qu'autrefois vous
nous aviez toutes précédées au Carmel, de même vous aviez pénétré la
première dans les mystères d'Amour caché dans le Visage de notre Epoux ;
alors vous m'aviez appelée et j'ai compris…J'ai compris que c'était la
véritable gloire. Celui dont le Royaume n'est pas de ce monde me montra
que la vraie Sagesse consiste à vouloir être ignorée et comptée pour
rien à mettre sa joie dans le mépris de soi-même »… « Ah ! comme celui
de Jésus je voulais que mon visage soit vraiment caché, que sur la terre
personne ne me reconnaisse. » « J'avais soif de souffrir, d'être
oubliée… » (Manuscrits Autobiographiques 71R°)
Thérèse adopte donc pleinement cette
Dévotion… Le 10 janvier 1889, jour de sa Prise d'Habit elle signera pour
la première fois un billet à sa compagne de Noviciat, Sœur Marthe de
Jésus, en ajoutant à son nom celui de la Sainte Face, elle avait collé
sur la Formule de ses Vœux une image de la Sainte Face. Vers la fin de
sa vie une photo émouvante prise le 7 juin 1897, nous montre Thérèse
bien lasse (elle l'est encore plus que ne le montre la photo, car elle a
pris sur elle pour faire quand même un peu bonne figure) avec la Sainte
Face. Elle sut rester très personnelle dans ce domaine. C'est le mystère
de la Croix, celui des anéantissements du Christ qu'elle contemplait sur
le Voile de Véronique. Peu de mois avant de mourir, elle affirmera :
« Ces paroles d'Isaïe : « Qui a cru à notre parole…Il est sans éclat ni
beauté… », ont fait tout le fond de ma dévotion à la Sainte Face, ou
pour mieux dire le fond de toute ma piété. » (Carnet Jaune de Mère Agnès
de Jésus, 5 août)
L'épreuve de la maladie de son père,
devenu l'homme au visage voilé, apporte à Thérèse sur le plan humain,
une émouvante résonance au mystère de la Sainte Face. La Lettre de
Céline du 18 juillet 1890, nous parle de l'héroïsme complet dans le
silence. Il faut songer aussi à l'étrange vision prémonitoire des
Buissonnets (Manuscrits Autobiographiques). « C'est au Carmel, atteste
Mère Agnès de Jésus, au moment de nos si grandes épreuves relatives à la
maladie cérébrale de notre père, qu'elle s'attache davantage au mystère
de la Passion, c'est alors qu'elle obtient d'ajouter à son nom celui de
la Sainte Face. »
N'oublions pas toutefois qu'elle portera
sur elle une photo de Sœur Marie de Saint Pierre au bas de laquelle elle
copie la prière de Saint Edme : « Que j'expire altéré de la soif ardente
de voir la désirable Face de Notre Seigneur Jésus Christ. » On peut
ensuite glaner tout au long de sa vie un ensemble de citations relatives
à la Sainte Face qui montrent l'importance psychologique qu'avait cette
dévotion pour Sainte Thérèse. Elle rédige un faire part symbolique de Sa
Profession sous ce Nom et insère la Sainte Face dans ces Armes ; ses
titres de noblesses étant : Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte
Face.
Elle écrit à la date du 31 mai 1896 le
cantique de Sœur Marie de la Trinité et de la Sainte Face. Pour la même
sœur, elle recopie quatre prières sur une carte ou se trouve une image
de la Sainte Face. L'une de ces prières est de Sœur Marie de Saint
Pierre : « De même que dans un royaume on se procure tout ce qu'on
désire avec l'effigie du Prince, ainsi avec la pièce précieuse de Mon
Humanité qui est Mon Adorable Face vous obtiendrez tout ce que vous
voudrez. » La onzième strophe du poème «Vivre d'amour » lui est
consacré : « Vivre d'amour, c'est essuyer Ta Face, c'est obtenir des
pécheurs le pardon ». Nous apprenons que le 26 février 1895, en
regardant l'image de la Sainte Face en allant du chœur au réfectoire,
elle murmure cette strophe, confiant ensuite : « En Le regardant, j'ai
pleuré d'amour ».
On connaît aussi une consécration à la
Sainte Face pour ses Novices avec trois médaillons contenant les
photographies de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face, de
Sœur Marie de la Trinité et de la Sainte Face et de Sœur Geneviève de
Sainte Thérèse et de la Sainte Face : au verso, une prière : « Seigneur,
cachez-nous dans le secret de Votre Face ». On pourrait encore citer
d'autres faits. Ne nous étonnons pas après cela que Mère Agnès de Jésus
ait pu répondre à la question : « Que fut l'attrait spécial de la
Servante de Dieu ? » - quelque tendre que fut sa dévotion à l'Enfant
Jésus, elle ne peut être comparée à celle qu'elle eut pour la Sainte
Face de Jésus.
A l'exemple de son humble devancière,
Sœur Marie de Saint Pierre, Sainte Thérèse n'a pas trouvé de difficultés
à unir ensemble sa piété pour Jésus Enfant et celle pour la Sainte Face.
Sa voie d'Enfance Spirituelle s'harmonisait bien avec l'un et avec
l'autre. Son orientation profonde et décisive depuis le jour de la grâce
reçue en contemplant l'image du Sang répandu pour le salut des âmes,
s'alimentait volontiers dans cette contemplation de la Sainte Face.
C'était aussi la manière de vivre concrètement de son idéal du
Belvédère : « Souffrir et être méprisée pour Vous ». Il est extrêmement
intéressant de noter que sur la demande expresse de Sœur Marie du Sacré
Cœur, sa sœur aînée, que Thérèse ajouta la mention du Sacré Cœur à celle
de la Sainte Face dans son Acte d'Offrande à l'Amour Miséricordieux :
« Vous suppliant de me regarder qu'à travers la Face de Jésus et de Son
Cœur brûlant d'Amour ». Dans le journal «Christus» N° 12, page 551 en
note le Père Arminjon nous dit : « On peut se demander si ce n'est pas
en raison de l'idée de Réparation à la Justice Divine, de réparation
pour tant d'ingrats égarés, qui est habituellement attachée aux formules
anciennes de cette dévotion (mais si étrangère à la Petite Voie » que
Thérèse se montre si réservée, ou du moins si silencieuse, dans
l'autobiographie «A l'égard de la dévotion au Sacré Cœur». En somme pour
Thérèse, la Sainte Face et le Sacré Cœur, sont les symboles d'une seule
et même réalité : l'Amour du Christ. Dans la mesure où la dévotion au
Sacré Cœur avait pu lui être présentée surtout sous son angle de
réparation, Thérèse l'assumait facilement. On voit par là combien, tout
en ayant subi et accepté l'inffluence de Sœur Marie de Saint Pierre elle
sut être personnelle dans son orientation vers la Sainte Face
5 Peu de temps après la mort de
Thérèse, Sœur Geneviève…
La sœur de Thérèse découvrit le Saint
Suaire, grâce au livre de M. Vignon : « Le Linceul de Turin » que lui
avait procuré son oncle, M. Guérin. Bouleversée d'émotion elle ne
cessait de contempler assidûment cette Image. En 1904 elle esquisse un
dessin au fusain. Des éditeurs pressentis conseillèrent une peinture en
grisaille. Elle y travailla avec beaucoup d'amour et l'effigie fut
terminée en 1906. Elle obtint le Grand Prix de l'Exposition
Internationale d'Art à Bois-le-Duc en Hollande en 1909. Cette effigie
fuit présentée au Pape Saint Pie X qui dit en la voyant : «Que c'est
beau ! Je veux donner un souvenir à la petite Religieuse qui a fait
cela », et lui envoya une médaille à son effigie. «Ah ! je ne m'étonne
pas d'avoir pu réussir la Face Douloureuse de mon Jésus. On a dit, je le
sais, qu'une âme pure avait seule le don de reproduire un si beau
Visage, et moi je sais encore que, pour comprendre de telles blessures,
il a fallu une âme qui en porte les empreintes ». Elle pensait à son
cher père, Louis Martin.
Il y eut un commencement de diffusion, et
voici qu'un saint Prêtre, le Père Eugène Prévost, qui avait servi
d'intermédiaire pour présenter l'image au Saint Père, prend conscience
d'une mission possible pour lui. « Je commençais à comprendre que Jésus
pouvait avoir le dessein de toucher les âmes par la révélation de Sa
Face Adorable. L'idée me vint de la répandre partout et de commencer par
le Canada. » Ce fut le commencement d'un vaste mouvement de diffusion de
l'image de la Sainte Face. Il fit également frapper une médaille et
éditer un bulletin. Actuellement, il y a une diffusion assez
considérable de la photographie du négatif du Saint Suaire à travers le
monde. Si cette dévotion n'a pas de place privilégiée dans la piété de
nos contemporains, on peut du moins dire qu'elle existe toujours et que
certaines âmes continuent à être attirées par elle.
Un très beau témoignage en ce sens est
donné par l'œuvre artistique du peintre Rouault. Il peut être considéré
comme le peintre de la Sainte Face. Le Christ qu'il a peint, c'est
l'Homme de Douleurs, le Christ. D'abord la Crucifixion. Ensuite et
surtout, le thème du Voile de Véronique ; comme si ce thème lui était
particulièrement cher. Et, en présence de cette Sainte Face, je ne
crains pas de dire qu'il faut remonter au Moyen Age pour trouver une
expression religieuse aussi valable et aussi authentique. Rouault a
retrouvé le sens de l'air d'être couché sur un lit de roses. Au
contraire, ici, nous voyons bien que la Passion, permettez-moi
l'expression, que la Passion «n'a pas été de la rigolade ». Ce Visage
ravagé, ces yeux révulsés, exorbités, cette bouche sanglante, ces traits
tirés, tout cela nous montre bien l'horreur de la Passion. Mais en même
temps, et c'est ce qu'il y a d'admirable dans cette œuvre de Rouault, en
même temps, ces yeux révulsés dégagent un regard de grandeur, une espèce
de rayonnement surnaturel qui s'affirme aussi dans l'extrême majesté de
cette Tête, cette Tête sans cou, cette Tête ou Rouault semble retrouver
l'inspiration des grands Pantocrator byzantins. Sens du surnaturel sens
de l'humanité la plus totale et la plus douloureuse. Ce double
sentiment que Moyen Age avait si bien connu, si bien exprimé et qui
s'était perdu depuis à quelques exceptions près, Rouault le retrouve et
le restitue.
Fondement et objet
Cette locution de l'Ancien Testament
n'est souvent qu'un «hébraïsme » - « A la Face de Dieu » étant
l'équivalent de « devant… En présence de… « la Face étant ce par quoi
toute personne est reconnue « Trois fois par an, tous tes hommes
viendront voir la Face du Maître, le Seigneur, Dieu d'Israël. En effet,
quand J'aurai dépossédé les nations devant toi et que J'aurais élargi
ton territoire, personne n'aura de visées sur ta terre au moment ou tu
monteras pour voir la Face du Seigneur, ton Dieu, trois fois par an. »
(Exode 34, 23). Le mot «Vultus Tui » sert davantage à exprimer
l'expression changeante du visage. Mais l'expression «la Face de Dieu »
n'est pas tout à fait synonyme de la «Personne ».
Dans un texte difficile l'expression « la
Face de Dieu » semble avoir la même fonction que l'expression « l'Ange
de Dieu ». Elle exprimait alors une Présence de Dieu, tout en
sauvegardant la majesté divine qui transcende tout ce qui est créé.
Ainsi Isaïe 63, 9 cela légitime l'expression « voir la Face de Dieu »
(Psaume 42, 3) – mais bien que Dieu soit invisible il a des intentions,
il veut entrer en communication avec l'homme, il a donc lui aussi, un
Visage qui peut exprimer la bienveillance ou la colère. La Face, le
Visage, sont les miroirs du cœur. La Face d'Adonaï, c'est Dieu Lui-même
en Visage comme Source de Lumière et dans la communication qu'il en
fait. C'est sa présence rayonnante, sa beauté radieuse, c'est le regard
qu'Il porte sur ses créatures et qui suscite leur regard quand
précisément Il tourne vers elle Sa Face (Psaume 66, 1), car Il la
détourne avec colère de qui méprise Sa Face… (Tobie 13, 8).
Conscients de cette transcendance de
Dieu, les Israélites admirent longtemps que l'on ne pouvait voir la Face
de Dieu sans mourir (Exode 33,20). Rappelons-nous le réflexe d'Isaïe
devant la Théophanie du Temple. C'est le fait de notre condition de
créature pécheresse. Cette intimité fut refusée à Moïse et à Elie. On ne
peut voir Dieu que par derrière (Exode 36, 33,23). Ce désir de voir
Dieu, de contempler Sa Face est cependant l'expérience religieuse
désirée dans beaucoup de Psaumes. Chercher la Face de Dieu, c'est Le
contempler (Psaumes 26, 4 ; 24, 6 ; 105, 4). – « Moi dans la Justice, je
contemplerai Ta Face, au réveil je me rassasierai de Ton Visage »
(Psaume 17, 17). « Ou fuirai-je devant Ta Face ? » (Psaume 139,7) « De
Toi mon cœur a dit, cherche Sa Face. C'est Ta Face, Adonaï que je
cherche, ne me cache pas de Ta Face » (Psaume 26, 8). Désirer la voie
face à Face, équivaut au désir de l'intimité de la connaissance : tels
Moïse et Elie ( 1 Jean 3,2 ; 1 Corinthiens 13, 12).
C'est cette manière de parler en langage
biblique qui est à l'origine de cette forme originale de la Présence de
Dieu chez les Carmes. Elle est aussi à l'origine de ce désir de voir
Dieu pris dans le sens de Le connaître intimement. Mais voici que Dieu
prend un visage d'homme. Celui que nul n'a jamais vu est désormais
visible. Il a un Visage : « Ce Visage est comme le miroir de Son Ame, Il
rayonne la Gloire de Dieu (2 Corinthiens 4,6). A la Transfiguration,
devant les apôtres éblouis Il apparaît vraiment comme la Splendeur du
Père (Hébreux 1,3) Jésus révèle la Face du Père (2 Corinthiens, 4 ;
Colossiens 1, 15).
Pratiquement toutefois la dévotion
s'organise, non vers cette partie du Corps de Jésus en général, mais
vers l'image du Visage Douloureux et pollué du Christ. Le Visage souillé
par les crachats, le baiser de Judas et les soufflets des gardes. Cette
Image a une valeur symbolique. C'est même a cause de cette valeur
symbolique que la dévotion est légitime. On sait en effet que l'Eglise
n'a jamais autorisé une dévotion à une partie du Corps de Jésus. C'est
ce qui explique certaines réserves notées dans l'autre partie de
l'exposé. (le silence de la dévotion présentée malencontreusement comme
une dévotion à une partie du Corps de Jésus). L'Encyclique « Haurietis
aquas » (N° 26) a souligné explicitement cette valeur symbolique : « La
Face surtout de notre Adorable Sauveur fut le témoignage et comme le
miroir le plus fidèle de ces affections qui, émouvant diversement son
âme, atteignaient comme dans un reflux de Son Cœur et en activaient les
battements… »
La Face du Seigneur est donc le symbole
du Christ tout entier sans doute, mais de ses affections surtout ; de
ses abaissements et souffrances, et donc de Son Amour Miséricordieux,
puisque Sa Rédemption Douloureuse en est le signe principal. (C'est
l'intuition de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus). Symbole aussi sans
doute de Son Amour méconnu (et c'est l'intuition de Sœur Marie de Saint
Pierre). De là on comprend bien de suite les actes suscités par cette
dévotion : attention au Mystères Douloureux de Jésus, souci de répondre
à Son Amour par un amour plein de confiance et de générosité. Se
souvenir de Galates 3,1 : « O Galates sans intelligence, qui vous a
ensorcelés ? A vos yeux pourtant ont été dépeints les traits de Jésus
Christ en Croix » !
Comme le suggère l'Encyclique, il y a un
rapprochement à faire avec la dévotion au Sacré Cœur. Le cas de Sainte
Thérèse est du reste très révélateur. Récusant un peu l'aspect de
réparation du culte du Sacré Cœur tel qu'il lui était présenté, elle
orientait vers la Sainte Face l'attitude qu'aurait pu susciter
normalement le culte du Sacré Cœur compris à la lumière de l'Encyclique
« Haurietis » ou de la tradition Eudiste. A la Basilique du Sacré Cœur
de Montmartre, il y a un rapprochement intéressant également entreces
deux formes de cultes à Notre Seigneur. On trouve une statue du Sacré
Cœur et, devant, une image de la Sainte Face (le négatif du Saint Suaire
de Turin). Fait assez remarquable c'est l'Ancien Testament qui fournit
le plus souvent des textes pour guider la dévotion à la Sainte Face.
« J'ai tendu le dos à ceux qui Me
frappaient, les joues à ceux qui M'arrachaient la barbe, Je n'ai pas
soustrait Ma Face aux outrages et aux crachats » (Isaïe 50,5-6). « Alors
que des multitudes avaient été épouvantés à Sa vue. Tant son aspect
était défiguré. Il n'avait plus d'apparence humaine. De même des
multitudes de nations s'en étonneront ; devant Lui des rois resteront
bouche close car ils verront un événement non raconté et observeront
quelque chose d'inouï » (Isaïe 52. 14-19). Il s'agit comme on le
remarque de textes messianiques. La dévotion à la Sainte Face nous
invitant à une attention au Visage de Notre Seigneur nous aide à mieux
comprendre le mystère de Son Amour. Le Visage du Christ à l'Agonie qui
reflète la générosité de Son consentement à Dieu nous fait découvrir Son
Amour Miséricordieux. (Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte
Face) Le Visage de l'Ecce Homo nous invite à répondre à Son Amour, nous
aide à mieux comprendre le malheur du péché . Retrouver le Christ aux
outrages derrière les visages des pécheurs. Ce fut lagrâce de Rouault.
Le Visage du Christ mort, paisible, nous révèle le sens de toute
souffrance, la valeur de l'humiliation rédemptrice, la vraie gloire
cachée aux yeux du monde. Le Visage du Christ c'est aussi le moyen de
nous rappeler en Présence vigilante. Les regards du Christ : regards
chargés d'amour et d'attente comme celui qu'Il dut un jour jeter sur
Pierre, ou sur Jean au cours de Sa Passion.
Le visage du Christ, c'est enfin le
symbole de la grande espérance. Nous avons l'espérance de Le voir un
jour face à Face (1 Jean 32 ; Matthieu 5,18) tel qu'Il est, sans
intermédiaire, non plus dans la Foi, amis dans la vision bienheureuse et
éternelle (Apocalypse 22,3). « Le Trône de Dieu et de l'Agneau sera
dressé et les serviteurs L'adoreront, il verront Sa Face et Son Nom sera
sur leurs fronts ». La vie éternelle sera si l'on veut la découverte de
ce Nom et de cette Face de Dieu. « Nous serons alors illuminés par la
Gloire du Christ » (2 Corinthiens 3, 1-8 ; 4, 2-6) « Jesum quem velatus
nunc aspicio, oro fiat illud quod tam sitio, ut te revelata cernens
Facies, visu beatus tuae gloriae. » D'un point de vue pastoral, on peut
noter que la dévotion à la Sainte Face répond à des tendances
universelles de la psychologie humaine. Le visage exprime à ce point la
personnalité de quelqu'un que voir quelqu'un et Le connaître sont
quasiment synonymes. Tant qu'on n'a pas vu quelqu'un on estime ne pas le
connaître vraiment. On reconnaît quelqu'un à son visage surtout, on le
trouve changé ou non. On dit : votre figure ne me dit rien, ou au
contraire je vous reconnais. Socialement il
en est de même. Tout espèce d'identité
comporte une photographie. Plus banalement encore on aime avoir les
photos de ceux que l'on aime. Pouvoir les regarder, contempler leurs
traits. Pour ceux qui se connaissent, le visage exprime tant de choses !
On se comprend, on sait ce que pense l'autre, ses joies, ses peines. Le
moindre changement de son visage exprime ses sentiments intimes. Ne pas
déchiffrer un visage est une souffrance . Les visages impassibles
inquiètent, déconcertent, on les dit impénétrables. Devant les visages
des autres races nous éprouvons parfois la gêne de ne pouvoir les
déchiffrer. Parmi les sentiments qui s'expriment surtout sur les visages
il y a sans doute la joie : un visage rayonnant… mais aussi la
tristesse, la souffrance : un visage ravagé. Les regards aussi sont très
expressifs. Ils marquent l'attention et aussi les sentiments divers que
nous pouvons avoir vis à vis des autres : sympathie, animosité… Le
regard mutuel peut signifier la curiosité, l'intérêt, l'intimité ou
l'effronterie… Le visage enfin est une réalité en même temps qu'un
symbole. On peut se l'imaginer, se le représenter. Il peut avoir une
valeur artistique, une valeur humaine… alors que le Nom, el Cœur, le
Précieux Sang sont des symboles abstraits difficiles à représenter et
qui découragent par avance tout essai artistique.
Actuellement le Visage de Notre Seigneur
souffrant tel que nous Le connaissons par le négatif du Saint Suaire de
Turin a pratiquement éclipsé les images du Voile de Véronique, dont il
faut bien reconnaître que l'authenticité et même la netteté sont plus
qu'illusoires. Le cas du Saint Suaire n'est pas réglé et il est permis
de mettre en doute son authenticité, mais ce qui est certain c'est qu'il
a fourni à la piété chrétienne un visage d'une grande beauté digne de
figurer les traits de Notre Seigneur souffrant, mieux que la plupart des
artistes n'auraient pu le faire. C'est ce qui explique le succès et
l'énorme diffusion des reproductions. Par contre sur le plan pastoral le
Voile de Véronique garde une très grande valeur symbolique très
touchante. Le geste qu'il soit vrai ou non de Sainte Véronique exprime à
sa manière toute l'attitude d'une âme chrétienne face à la souffrance du
Christ en Sa Passion.
Cette contemplation suscite un geste de
piété et d'amour. C'est un geste spontané et gratuit. C'est un geste
plein de délicatesse, une invention du cœur, un geste d'amour. C'est un
geste généreux, sans respect humain, c'est un geste du cœur, bien
compatissant et délicat et en même temps théologal. Le miracle supposé
est aussi plein de sens. C'est le geste du Christ, gratuit, délicat,
généreux Lui aussi. A cette femme qui fait de son mieux, qui Lui offre
beaucoup plus qu'un verre d'eau, mais qui s'apparente à ces gestes
d'amour que le Seigneur a demandé que l'on ait pour le plus petit des
siens, Jésus répond en se manifestant, en lui laissant comme don
personnel : Son Visage… Et le miracle extérieur est symbole du don de
Lui-même, à l'âme chrétienne, symbole de l'impression de Sa ressemblance
au plus intime du cœur : seule richesse inaltérable, que personne ne
peut ravir. Ressembler au Christ, participer à son mystère, Lui être
conforme dans Sa Mort pour participer à Sa Victoire et à Sa Gloire. Là
est tout le mystère pascal.